Depuis quelques mois, plusieurs maisons de retraite de Drôme-Ardèche, comme d’ailleurs, se sont inscrites sur la plateforme des “Cartes joviales” pour inviter les volontaires à écrire à leurs résidents. Une initiative qui cartonne.
La résidence du Grand Pré, à Alboussière, a reçu plus de 650 cartes en quatre mois, pour le plus grand bonheur des résidents.
« “Je vous envoie un petit coucou de Margny-lès-Compiègne, j’espère que vous mangez bien”… Ah ça oui, j’ai bon appétit ! »
Clotilde Fourel sourit en lisant la carte arrivée ce matin à son attention dans la boîte aux lettres de l’Ehpad du Grand Pré, à Alboussière (Ardèche). Pourtant, l’octogénaire ne connaît pas l’expéditrice de la missive. Elle fait partie des centaines de “joyeux expéditeurs” qui inondent l’établissement de “cartes joviales” depuis cet été.
Un concept lancé par une Niçoise sur les réseaux sociaux en août (lire par ailleurs), et qui cartonne.
« On a posté un message le 10 août, on ne pensait pas recevoir beaucoup de cartes et on en est à 650 », s’enthousiasme Rachel Bouveron, accompagnante éducative et sociale (AES) à l’Ehpad d’Alboussière.
Bretagne, Pays basque, Corse ou même Canada, Australie ou Japon : les cartes postales affluent de toutes parts, jusqu’à 50 par jour durant l’été. Beaucoup sont envoyées par des femmes, certaines par des enfants encouragés par leurs parents ou grands-parents.
« Ça leur tient à cœur de répondre »
« Ils nous font profiter de leurs vacances, souligne Clotilde Fourel, en se remémorant ses voyages avec son mari. C’est plus difficile maintenant que je suis en fauteuil roulant. »
« Peu de nos résidents voyagent, rebondit Sonia Michel-Arndt. Ça leur permet de découvrir ou redécouvrir des endroits. » Avec le soutien de leur directeur, Sylvain Guillaume, les deux AES ont commandé une immense carte du monde pour matérialiser la provenance de toutes les missives.
Au-delà du dépaysement, les cartes joviales sont un prétexte à lire et à écrire, lorsqu’une réponse est envoyée. Sur les 60 résidents — souvent très dépendants — de l’établissement d’Alboussière, ils sont une dizaine à pouvoir participer aux ateliers organisés ponctuellement autour de cette correspondance.
« Certains aiment juste lire, d’autres vont simplement signer la carte collective, certains recopient le texte qu’on leur propose et d’autres écrivent leurs propres messages », détaille Rachel Bouveron.
Et l’engouement est réel. « Hier, une résidente a reçu trois cartes personnelles, elle nous a tout de suite demandé à y répondre, ça leur tient à cœur », note Sonia Michel-Arndt.
« On avait tenté un atelier d’écriture par le passé et ça n’avait pas pris », précise Sylvain Guillaume. Alors qu’en quatre mois, les résidents ont renvoyé 350 cartes (aux couleurs de l’Ardèche) aux correspondants qui avaient laissé leur adresse. Le tout aux frais de l’établissement.
« Ça leur rappelle des souvenirs, ça les stimule, ça crée du lien social, ça permet de se sentir moins seul », justifie Sylvain Guillaume. En cette période de fêtes de fin d’année, les cartes de vœux sont prétextes à échanger sur les repas en famille passés ou prévus.
« J’aimais bien faire la bûche, maintenant je ne peux plus », se souvient Clotilde Fourel, quand Geneviève Chirouze évoque le repas qui l’attend chez son fils. Cet autre résident, lui, a pu écrire à son fils qui vit au Canada. « Il était très ému car il pensait ne pas y arriver », souligne Rachel Bouveron.
Pour Geneviève Chirouze, qui a comme tout le monde remplacé la correspondance postale par le téléphone, le plaisir est avant tout d’écrire. « On devrait faire des dictées, lance d’ailleurs la souriante septuagénaire. Mais pas des rédactions, j’ai jamais aimé ça ! »
Ça tombe bien, il n’y a pas besoin d’écrire un long discours pour envoyer un peu de joie sur papier cartonné.
Comment ça fonctionne?
▶ Si la fondatrice de l’initiative n’est pas derrière chaque expéditeur, elle demande de n’écrire qu’aux établissements demandeurs, et de veiller à ce que ses écrits soient apolitiques, laïcs, légers, gais et puissent susciter une conversation (autour de la géographie, l’histoire, les saisons, les traditions, etc.). ▶ Pour les fêtes, quatre Ehpad drômardéchois se sont inscrits pour recevoir du courrier : La Pousterle à Nyons, Le Clos Rousset à Saint-Marcel-lès-Valence, Saint-Joseph à Aubenas et Rivoly à La Voulte. ▶ Plus d’infos sur le groupe Facebook Les Cartes joviales
Plus de 200 établissements inscrits et 1 200 “joyeux expéditeurs”
Les “cartes joviales”, c’est une idée qui a germé dans l’esprit de Stéphanie (elle ne souhaite pas mettre en avant son nom), une directrice d’agence événementielle niçoise, il y a deux ans. « Je viens d’une famille où on échangeait beaucoup de cartes postales, j’en envoyais beaucoup à ma grand-mère et je voyais la joie que ça pouvait apporter », confie la quinquagénaire.
En 2022, elle commence à contacter des animateurs dans les maisons de retraite et à envoyer des cartes aux résidents des établissements volontaires, peu à peu rejointe par un petit collectif.
« Au début, ça décollait peu parce que beaucoup d’Ehpad trouvaient que ça n’avait pas de sens de recevoir du courrier d’inconnus, et puis j’ai eu un article dans la presse et ça s’est emballé », raconte Stéphanie. Surtout, la création de sa page Facebook, Les Cartes joviales, en août dernier, a étendu la démarche à toute la France et permis d’autonomiser les participants, qui peuvent publier leurs annonces et entrer en relation directement.
Aujourd’hui, plus de 200 établissements se sont inscrits pour recevoir des cartes, et au moins 1 200 personnes se sont muées en “joyeux expéditeurs”. Stéphanie évalue les envois à 1 000 à 1 500 cartes par mois, et plus de 2 000 sur la première quinzaine de décembre.
« Des résultats incroyables »
« Il y a des résultats incroyables, s’enthousiasme la fondatrice. Certains résidents qui ne parlaient plus se sont mis à raconter leurs souvenirs de vacances, évoquer leur famille… »
La Niçoise salue l’investissement des animateurs, qui mettent en place des ateliers de lecture, d’écriture ou encore de cuisine autour de ces cartes, et payent parfois les envois de leur poche. Mais aussi l’engagement et la créativité des joyeux expéditeurs. « Je n’ai pas créé d’association car je veux que chacun s’approprie le projet, que ce soit collectif, et je vois de très belles démarches », se réjouit Stéphanie, citant notamment les habitants du village ardéchois de Saint-Martin-sur-Lavezon, qui ont écrit 50 cartes présentées sur un sapin en carton, qu’ils ont apporté à l’Ehpad voisin de Rochemaure.
« Je n’attends rien en retour, c’est ce qui fait la beauté de la démarche »
Sur la table du salon s’étalent pinceaux, peinture, tampons, pochoirs et autres accessoires artistiques. En cette après-midi de décembre, Christine Lachaud-Elmnadil a du pain sur la planche. « J’ai dix anniversaires à faire pour janvier, sans compter les cartes de vœux. » Depuis quelques mois, cette Ardéchoise de 59 ans fait partie des “joyeuses expéditrices” de cartes joviales.
« J’ai toujours été manuelle et j’échange des cartes brodées avec des passionnées du monde entier, contextualise la Soyonnaise. Quand j’ai découvert les “cartes joviales”, l’idée m’a tout de suite plu. » Celle qui est par ailleurs correspondante de presse pour Le Dauphiné libéré s’est mise pour l’occasion à l’aquarelle, peignant gâteaux d’anniversaires, fleurs ou encore rennes de Noël pour les pensionnaires des maisons de retraite de tout le pays, et même de Belgique.
Un carnet de timbres par mois
« Je passe environ un carnet de 12 timbres par mois, mais chacun fait comme il veut, précise Christine. Je n’attends rien en retour, pas même une réponse, c’est ce qui fait la beauté de la démarche, dans un monde où tout est payant ou calculé. »
Au dos de ses cartes artistiques, seuls quelques mots pour se présenter et adresser ses vœux d’amitié aux destinataires. « Je veux juste apporter des sourires, égayer leurs journées, j’aime aussi me dire que ça peut donner lieu à des ateliers d’écriture, réveiller des souvenirs, créer du lien », souligne cette mère de deux grands enfants.
Elle qui a eu l’occasion de pousser la porte de plusieurs Ehpad sait que la vie n’y est pas toujours rose, mais également que « certaines médiations ont un effet magique ». Et, pragmatique, elle note dans un sourire : « Si tout va bien, je suis une future vieille ! »
Le Dauphiné Libéré • 27 décembre 2024